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sus un large soleil blanc épandu dont un vent capricieux envoyait les flèches dans toutes les directions, au cuivre d’un tambourin, à la pointe d’un trident, à la frange d’une bannière, et le grand Rhône fougueux et libre emportant à la mer le tableau mouvant de cette fête navale. En face de ces merveilles, où tout l’or de ses coffres resplendissait, le Nabab eut un mouvement d’admiration et d’orgueil.

« C’est beau… », dit-il en pâlissant, et derrière lui sa mère, pâle, elle aussi, mais d’une indicible épouvante, murmura :

— C’est trop beau pour un homme… On dirait que c’est Dieu qui vient. »

Le sentiment de la vieille paysanne catholique était bien celui qu’éprouvait vaguement tout ce peuple amassé sur les routes comme pour le passage d’une Fête-Dieu gigantesque, et à qui ce prince d’Orient venant voir un enfant du pays rappelait des légendes de Rois Mages, l’arrivée de Gaspard le Maure apportant au fils du charpentier la myrrhe et la couronne en tiare.

Au milieu des félicitations émues dont Jansoulet était entouré, Cardailhac, triomphant et suant, qu’on n’avait pas vu depuis le matin, apparut tout à coup :

« Quand je vous disais qu’il y avait de quoi faire !… Hein ?… Est-ce chic ?… En voilà une figuration… Je crois que nos Parisiens payeraient cher pour assister à une première comme celle-là. »

Et baissant la voix à cause de la mère qui était tout près :

« Vous avez vu nos Arlésiennes ?… Non, regardez-les mieux… la première, celle qui est en avant pour offrir le bouquet.

— Mais c’est Amy Férat.