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cendus des planches en terre ferme. Mais Cardailhac ne l’entendait pas ainsi. Sitôt débarqués, débarbouillés, le premier déjeuner pris, vite les brochures et répétons ! On n’avait pas de temps à perdre. Les études se faisaient dans le petit salon près de la galerie d’été, où l’on commençait déjà à construire le théâtre, et le bruit des marteaux, les ariettes des couplets de revue, les voix grêles soutenues par le crin-crin du chef d’orchestre se mêlaient aux grands coups de trompette des paons sur leurs perchoirs, s’éparpillaient dans le mistral, qui ne reconnaissant pas la crécelle enragée de ses cigales, vous secouait tout cela avec mépris sur la pointe traînante de ses ailes.

Assis au milieu du perron, comme à l’avant-scène de son théâtre, Cardailhac, en surveillant les répétitions, commandait à un peuple d’ouvriers, de jardiniers, faisait abattre les arbres qui gênaient le point de vue, dessinait la coupe des arcs triomphaux, envoyait des dépêches, des estafettes aux maires, aux sous-préfets, à Arles pour avoir une députation des filles du pays en costume national, à Barbentane, où sont les plus beaux farandoleurs à Faraman, renommé pour ses manades de taureaux sauvages et de chevaux camarguais ; et comme le nom de Jansoulet flamboyait au bas de toutes les missives, que celui du bey de Tunis s’y ajoutait, de partout on acquiesçait avec empressement, les fils télégraphiques n’arrêtaient pas, les messagers crevaient des chevaux sur les routes, et cette espèce de petit Sardanapale de Porte-Saint-Martin qu’on appelait Cardailhac répétait toujours : « Il y a de quoi faire », heureux de jeter l’or à la volée comme des poignées de semailles, d’avoir à brasser une mise en scène de cinquante lieues, toute cette Provence, dont ce Parisien