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c’est qu’il en a repris, il a eu le courage d’en reprendre. Seulement il se fourrait des verrées de vin comme un maçon, entre chaque bouchée… Eh bien ! voulez-vous que je vous dise ? C’est très-malin ce qu’il a fait là ; et ça ne m’étonne plus maintenant que ce gros bouvier soit devenu le favori des souverains. Il sait où les flatter, dans les petites prétentions qu’on n’avoue pas… Bref, le duc est toqué de lui depuis ce jour. »

Cette historiette fit beaucoup rire, et dissipa les nuages assemblés par quelques paroles imprudentes. Et alors, comme le vin avait délié les langues, que chacun se connaissait mieux, on posa les coudes sur la table et l’on se mit à parler des maîtres, des places où l’on avait servi, de ce qu’on y avait vu de drôle. Ah ! j’en ai entendu de ces aventures, j’en ai vu défiler de ces intérieurs. Naturellement j’ai fait aussi mon petit effet avec l’histoire de mon garde-manger à la Territoriale, l’époque où je mettais mon fricot dans la caisse vide, ce qui n’empêchait pas notre vieux caissier, très formaliste, de changer le mot de la serrure tous les deux jours, comme s’il y avait eu dedans tous les trésors de la Banque de France. M. Louis a paru prendre plaisir à mon anecdote. Mais le plus étonnant, ça été ce que le petit Bois-Landry, avec son accent de voyou parisien, nous a raconté du ménage de ses maîtres…

Marquis et marquise de Bois-Landry, deuxième étage, boulevard Haussmann. Un mobilier comme aux Tuileries, du satin bleu sur tous les murs, des chinoiseries, des tableaux, des curiosités, un vrai musée, quoi ! débordant jusque sur le palier. Service très-calé : six domestiques, l’hiver livrée marron, l’été livrée nankin. On voit ces gens-là partout, aux petits lundis, aux courses, aux premières représentations, aux bals d’am-