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X
mémoires d’un garçon de bureau — les domestiques

Vraiment la fortune à Paris a des tours de roue vertigineux !

Avoir vu la Caisse territoriale comme je l’ai vue, des pièces sans feu, jamais balayées, le désert avec sa poussière, haut de ça de protêts sur les bureaux, tous les huit jours une affiche de vente à la porte, mon fricot répandant là-dessus l’odeur d’une cuisine de pauvre ; puis assister maintenant à la reconstitution de notre société dans ses salons meublés à neuf, où je suis chargé d’allumer des feux de ministère, au milieu d’une foule affairée, des coups de sifflet, des sonnettes électriques, des piles d’écus qui s’écroulent, cela tient du prodige. Il faut que je me regarde moi-même pour y croire, que j’aperçoive dans une glace mon habit gris de fer, rehaussé d’argent, ma cravate blanche, ma chaîne d’huissier comme j’en avais une à la Faculté les jours de séance… Et dire que pour opérer cette transformation, pour ramener sur nos fronts la gaieté mère de la concorde, rendre à notre papier sa valeur décuplée, à notre cher gouverneur l’estime et la confiance dont il était si injustement privé, il a suffi d’un homme, de