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vantine en étalait sur le divan de ses siestes et qu’elle marquait de son crayon directorial.

Paul s’étant, à son tour, rapproché de la table, afin d’examiner le chef-d’œuvre, son regard fut attiré par un portrait de femme richement encadré, et qui, si près du travail de l’artiste, semblait être là pour y présider… Élise, sans doute ?… Oh ! non, André n’avait pas encore le droit de sortir de son entourage protecteur le portrait de sa petite amie… C’était une femme d’une quarantaine d’années, l’air doux, blonde, et d’une grande élégance. En la voyant, de Géry ne put retenir une exclamation.

« Vous la connaissez ? fit André Maranne.

— Mais oui… madame Jenkins, la femme du docteur irlandais. J’ai soupé chez eux cet hiver.

— C’est ma mère… » Et le jeune homme ajouta sur un ton plus bas :

— Madame Maranne a épousé en secondes noces le docteur Jenkins… Vous êtes surpris, n’est-ce pas, de me voir dans cette détresse quand mes parents vivent au milieu du luxe ?… Mais, vous savez, les hasards de la famille groupent parfois ensemble des natures si différentes… Mon beau-père et moi nous n’avons pu nous entendre… Il voulait faire de moi un médecin, tandis que je n’avais de goût que pour écrire. Alors, afin d’éviter des débats continuels dont ma mère souffrait, j’ai préféré quitter la maison et tracer mon sillon tout seul, sans le secours de personne… Rude affaire ! les fonds manquaient… Toute la fortune est à ce… à M. Jenkins… Il s’agissait de gagner sa vie, et vous n’ignorez pas comme c’est une chose difficile pour des gens tels que nous, soi-disant bien élevés… Dire que, dans tout l’acquis de ce qu’on est convenu d’appeler une éducation complète, je n’ai trouvé que ce jeu d’en-