Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sympathique, amené par l’aveu si vif du début. Paul confessa qu’il était amoureux, lui aussi, et qu’il ne venait si souvent chez M. Joyeuse que pour parler de celle qu’il aimait avec Bonne-Maman qui l’avait connue autrefois.

« C’est comme moi, dit André. Bonne-Maman a toutes mes confidences ; mais nous n’avons encore rien osé dire au père. Ma situation est trop médiocre… Ah ! quand j’aurai fait jouer Révolte ! »

Alors ils parlèrent de ce fameux drame Révolte ! auquel il travaillait depuis six mois, le jour, la nuit, qui lui avait tenu chaud pendant tout l’hiver, un hiver bien rude, mais dont la magie de la composition corrigeait les rigueurs dans le petit atelier qu’elle transformait. C’est là, dans cet étroit espace, que tous les héros de sa pièce étaient apparus au poète comme des kobolds familiers tombés du toit ou chevauchant des rayons de lune, et avec eux les tapisseries de haute lisse, les lustres étincelants, les fonds de parc aux perrons lumineux, tout le luxe attendu des décors, ainsi que le tumulte glorieux de sa première représentation dont la pluie criblant le vitrage, les écriteaux qui claquaient sur la porte figuraient pour lui les applaudissements, tandis que le vent, passant en bas dans le triste chantier de démolitions avec un bruit de voix flottantes apportées de loin en loin remportées, ressemblait à la rumeur des loges ouvertes sur le couloir et laissant circuler le succès parmi les caquetages et l’étourdissement de la foule. Ce n’était pas seulement la gloire et l’argent qu’elle devait lui procurer cette bienheureuse pièce, mais quelque chose de plus précieux encore. Aussi avec quel soin il feuilletait le manuscrit en cinq gros cahiers tout de bleu recouverts de ces cahiers comme la Le-