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IX
bonne maman

Trois fois par semaine, Paul de Géry, le soir venu, allait prendre sa leçon de comptabilité dans la salle à manger des Joyeuse, non loin de ce petit salon où la famille lui était apparue le premier jour ; aussi, pendant que, les yeux fixés sur son professeur en cravate blanche, il s’initiait à tous les mystères du « doit et avoir », il écoutait malgré lui derrière la porte le bruit léger de la veillée laborieuse, en regrettant la vision de tous ces jolis fronts abaissés sous la lampe. M. Joyeuse ne disait jamais un mot de ses filles. Jaloux de leurs grâces comme un dragon gardant de belles princesses dans une tour, excité par les imaginations fantastiques de sa tendresse excessive, il répondait assez sèchement aux questions de son élève s’informant de « ces demoiselles », si bien que le jeune homme ne lui en parla plus. Il s’étonnait seulement de ne pas voir une fois cette Bonne-Maman dont le nom revenait à propos de tout dans les discours de M. Joyeuse, les moindres détails de son existence, planant sur la maison comme l’emblème de sa parfaite ordonnance et de son calme.

Tant de réserve, de la part d’une vénérable dame qui