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la plus fortifiante ; les chèvres pourraient peut-être la leur donner, mais ils ont juré de ne pas téter les chèvres. Et voilà ce qui rend le dortoir lugubre et silencieux, sans une de ces petites colères à poings fermés, un de ces cris montrant les gencives roses et droites, où l’enfant essaie son souffle et ses forces ; à peine un vagissement plaintif, comme l’inquiétude d’une âme qui se retourne en tous sens dans un petit corps malade, sans pouvoir trouver la place pour y rester.

Jenkins et le directeur qui se sont aperçus du mauvais effet que la visite du dortoir produit sur leurs hôtes, essaient d’animer la situation, parlent très fort, d’un air bon enfant, tout rond et satisfait. Jenkins donne une grande poignée de main à la surveillante :

« Eh bien ! madame Polge, ça va, nos petits élèves ?

— Comme vous voyez, monsieur le docteur », répond-elle en montrant les lits. Elle est funèbre dans sa robe verte, cette grande madame Polge, idéal des nourrices sèches ; elle complète le tableau.

Mais où donc est passé M. le secrétaire des commandements ? Il s’est arrêté devant un berceau, qu’il examine tristement, debout et la tête branlante.

« Bigre de bigre ! » dit Pompon tout bas à madame Polge… « C’est le Valaque. »

La petite pancarte bleue accrochée en haut du berceau comme dans les hospices, constate en effet la nationalité de l’enfant : « Moldo-Valaque. » Quel guignon que l’attention de M. le secrétaire se soit portée justement sur celui-là !… Oh ! la pauvre petite tête couchée sur l’oreiller, son béguin de travers, les narines pincées, la bouche entrouverte par un souffle court, ha-