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M. Pondevèz, élève des hôpitaux de Paris ; et près de lui, pour les soins plus intimes, une femme de confiance, madame Polge. Puis des bonnes, des lingères, des infirmières. Et que de perfectionnements et d’entretien, depuis l’eau distribuée dans cinquante robinets à système jusqu’à l’omnibus, avec son cocher à la livrée de Bethléem, s’en allant vers la gare de Rueil à tous les trains de la journée, en secouant ses grelots de poste. Enfin des chèvres magnifiques, des chèvres du Tibet, soyeuses, gonflées de lait. Tout était admirable comme organisation ; mais il y avait un point où tout choppait. Cet allaitement artificiel, tant prôné par la réclame, n’agréait pas aux enfants. C’était une obstination singulière, un mot d’ordre qu’ils se donnaient entre eux, d’un coup d’œil, pauvres petits chats, car ils ne parlaient pas encore, la plupart même ne devaient jamais parler : « Si vous voulez, nous ne téterons pas les chèvres. » Et ils ne les tétaient pas, ils aimaient mieux mourir l’un après l’autre que de les téter. Est-ce que le Jésus de Bethléem dans son étable, était nourri par une chèvre ? Est-ce qu’il ne pressait pas au contraire un sein de femme doux et plein sur lequel il s’endormait quand il n’avait plus soif ? Qui donc a jamais vu de chèvre entre le bœuf et l’âne légendaires dans cette nuit où les bêtes parlaient ? Alors pourquoi mentir, pourquoi s’appeler Bethléem ?…

Le directeur s’était ému d’abord de tant de victimes. Épave de la vie du « quartier », ce Pondevèz, étudiant de vingtième année bien connu dans tous les débits de prunes du boulevard Saint-Michel sous le nom de pompon, n’était pas un méchant homme. Quand il vit le peu de succès de l’alimentation artificielle, il prit tout bonnement quatre ou cinq vigoureuses nourrices dans