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même pas raconter combien ils sont malhabiles à gagner leur vie. À côté de ces mendicités découvertes, il y avait celles qui se déguisent : charité, philanthropie, bonnes œuvres, encouragements artistiques, les quêtes à domicile pour les crèches, les paroisses, les repenties, les sociétés de bienfaisance, les bibliothèques d’arrondissement. Enfin, celles qui se parent d’un masque mondain : les billets de concert, les représentations à bénéfices, les cartes de toutes couleurs, « estrade, premières, places réservées ». Le Nabab exigeait qu’on ne refusât aucune offrande, et c’était encore un progrès qu’il ne s’en chargeât plus lui-même. Assez longtemps, il avait couvert d’or, avec une indifférence généreuse, toute cette exploitation hypocrite, payant cinq cents francs une entrée au concert de quelque cithariste wurtembergeoise ou d’un joueur de galoubet languedocien, qu’aux Tuileries ou chez le duc de Mora on aurait cotée dix francs. À certains jours, le jeune de Géry sortait de ces séances écœuré jusqu’à la nausée. Toute l’honnêteté de sa jeunesse se révoltait, il essayait auprès du Nabab des tentatives de réforme. Mais celui-ci, au premier mot, prenait la physionomie ennuyée des natures faibles, mises en demeure de se prononcer, ou bien il répondait avec un haussement de ses solides épaules : « Mais, c’est Paris, cela, mon cher enfant… Ne vous effarouchez pas, laissez-moi faire… Je sais où je vais et ce que je veux. »

Il voulait alors deux choses, la députation et croix. Pour lui, c’étaient les deux premiers étages de la grande montée, où son ambition le poussait. Député, il le serait certainement par la Caisse territoriale, à la tête de laquelle il se trouvait. Paganetti de Porto-Vecchio le lui disait souvent :