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fondée au collège sur le modèle de la grande, s’en allaient par petites escouades, seuls comme des hommes, porter au fin fond des faubourgs populeux des secours et des consolations. On voulait leur apprendre ainsi la charité expérimentale, l’art de connaître les besoins, les misères du peuple, et de panser ces plaies, toujours un peu écœurantes, à l’aide d’un cérat de bonnes paroles et de maximes ecclésiastiques. Consoler, évangéliser les masses par l’enfance, désarmer l’incrédulité religieuse par la jeunesse et la naïveté des apôtres : tel était le but de la petite Société, but entièrement manqué, du reste. Les enfants, bien portants, bien vêtus, bien nourris, n’allant qu’à des adresses désignées d’avance, trouvaient des pauvres de bonne mine, parfois un peu malades, mais très propres, déjà inscrits et secourus par la riche organisation de l’Église. Jamais ils ne tombaient dans un de ces intérieurs nauséabonds, où la faim, le deuil, l’abjection, toutes les tristesses physiques ou morales s’inscrivent en lèpre sur les murs, en rides indélébiles sur les fronts. Leur visite était préparée comme celle du souverain entrant dans un corps de garde pour goûter la soupe du soldat ; le corps de garde est prévenu, et la soupe assaisonnée pour les papilles royales… Avez-vous vu ces images des livres édifiants, où un petit communiant, sa ganse au bras, son cierge à la main, et tout frisé, vient assister sur son grabat un pauvre vieux qui tourne vers le ciel des yeux blancs ? Les visites de charité avaient le même convenu de mise en scène, d’intonation. Aux gestes compassés des petits prédicateurs aux bras trop courts, répondaient des paroles apprises, fausses à faire loucher. Aux encouragements comiques, aux « consolations prodiguées » en phrases de livres de prix par des voix de jeunes coqs