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racontars à la portée de l’intelligence de madame. Venu une fois pour la masser, elle voulut le revoir, le retint. Il dut quitter tous ses autres clients, et devenir, à des appointements de sénateur, le masseur de cette forte personne, son page, sa lectrice, son garde du corps. Jansoulet, enchanté de voir sa femme contente, ne sentit pas le ridicule bête qui s’attachait à cette intimité.

On apercevait Cabassu au Bois, dans l’énorme et somptueuse calèche à côté de la gazelle favorite, au fond des loges de théâtre que louait la Levantine, car elle sortait maintenant, désengourdie par le traitement de son masseur et décidée à s’amuser. Le théâtre lui plaisait, surtout les farces ou les mélodrames. L’apathie de son gros corps s’animait à la lumière fausse de la rampe. Mais c’était au théâtre de Cardailhac qu’elle allait le plus volontiers. Là, le Nabab se trouvait chez lui. Du premier contrôleur jusqu’à la dernière des ouvreuses, tout le personnel lui appartenait. Il avait une clé de communication pour passer des couloirs sur la scène ; et le salon de sa loge décoré à l’orientale, au plafond creusé en nid d’abeilles, aux divans en poil de chameau, le gaz enfermé dans une petite lanterne mauresque, pouvait servir à une sieste pendant les entractes un peu longs : une galanterie du directeur à la femme de son commanditaire. Ce singe de Cardailhac ne s’en était pas tenu là ; voyant le goût de la demoiselle Afchin pour le théâtre, il avait fini par lui persuader qu’elle en possédait aussi l’intuition, la science, et par lui demander de jeter à ses moments perdus un coup d’œil de juge sur les pièces qu’on lui envoyait. Bonne façon d’agrafer plus solidement la commandite.

Pauvres manuscrits à couverture bleue ou jaune, que l’espérance a noués de rubans fragiles, qui vous en allez