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L’atelier refermé sur ce pas lourd qui s’éloignait, ils se regardèrent tous deux bien en face.

« Il faut que vous soyez ivre ou fou pour vous être permis une chose pareille ? Comment, vous osez entre chez moi quand je ne veux pas recevoir ?… Pourquoi cette violence ? de quel droit ?…

— Du droit que donne la passion désespérée et invincible.

— Taisez-vous, Jenkins, vous prononcez des paroles que je ne veux pas entendre… Je vous laisse venir ici par pitié, par habitude, parce que mon père vous aimait… Mais ne me reparlez jamais de votre… amour — elle dit le mot très bas, comme une honte — ou vous ne me reverrez plus, oui, dussé-je mourir pour vous échapper une bonne fois. »

Un enfant pris en faute ne courbe pas plus humblement la tête que Jenkins répondant :

« C’est vrai… J’ai eu tort… Un moment de folie, d’aveuglement… Mais pourquoi vous plaisez-vous à me déchirer le cœur comme vous faites ?

— Je pense bien à vous, seulement.

— Que vous pensiez ou non à moi, je suis là, je vois ce qui se passe, et votre coquetterie me fait un mal affreux. »

Un peu de rouge lui vint aux joues devant ce reproche :

« Coquette, moi ?… et avec qui ?

— Avec ça… », dit l’Irlandais en montrant le buste simiesque et superbe.

Elle essaya de rire :

« Le Nabab… Quelle folie !

— Ne mentez donc pas… Croyez-vous que je sois aveugle, que je ne me rende pas compte de tous vos