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là n’avait rien d’offensant. Un vieil ami de ton père.

— Lui ! l’ami de quelqu’un… Ah ! le beau tartufe ! »

Et Félicia ayant peine à se contenir, tournait en ironie sa rancune, imitait Jenkins, le geste arrondi, la main sur son cœur, puis, gonflant ses joues, disait d’une grosse voix soufflée, pleine d’effusions menteuses :

« Soyons humains, soyons bons… Le bien sans espérance !… tout est là. »

Constance riait aux larmes malgré elle, tellement la ressemblance était vraie.

« C’est égal, tu es trop dure… tu finiras par l’éloigner.

— Ah bien oui !… » disait un hochement de tête de la jeune fille.

En effet, il revenait toujours, doux, aimable, dissimulant sa passion visible seulement quand elle se faisait jalouse à l’égard des nouveaux venus, comblant d’assiduités l’ancienne danseuse à laquelle plaisait malgré tout sa douceur et qui reconnaissait en lui un homme de son temps à elle, du temps où l’on abordait les femmes en leur baisant la main, avec un compliment sur la bonne mine de leur visage.

Un matin, Jenkins, étant venu pendant sa tournée, trouva Constance seule dans l’antichambre et désœuvrée.

« Vous voyez, docteur, je monte la garde, fit-elle tranquillement.

— Comment cela ?

— Oui, Félicia travaille. Elle ne veut pas être dérangée, et les domestiques sont si bêtes. Je veille moi-même à la consigne. »