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de dire au club le soir : « J’étais aujourd’hui chez Félicia. » Parmi eux, Paul de Géry, silencieux, absorbé dans une admiration qui lui entrait au cœur chaque jour un peu plus, cherchait à comprendre le beau sphinx enveloppé de cachemire pourpre et de guipures écrues qui taillait bravement en pleine glaise, un tablier de brunisseuse — remonté presque jusqu’au cou — laissant la tête petite et fière émerger avec ces tons transparents, ces lueurs de rayons voilés dont l’esprit, l’inspiration colorent les visages en passant. Paul se rappelait toujours ce qu’on avait dit d’elle devant lui, essayait de se faire une opinion, doutait, plein de trouble et charmé, se jurant chaque fois qu’il ne reviendrait plus, et ne manquant pas un dimanche. Il y avait là aussi de fondation, toujours à la même place, une petite femme en cheveux gris et poudrés, une fanchon autour de sa figure rose, pastel un peu effacé par les ans qui, sous le jour discret d’une embrasure, souriait doucement, les mains abandonnées sur ses genoux, dans une immobilité de fakir. Jenkins aimable, la face ouverte, avec ses yeux noirs et son air d’apôtre, allait de l’un à l’autre, aimé et connu de tous. Lui non plus ne manquait pas un des jours de Félicia ; et vraiment il y mettait de la patience, toutes les rebuffades de l’artiste et de la jolie femme étant réservées à lui seul. Sans paraître s’en apercevoir, avec la même sérénité souriante, indulgente, il continuait à venir chez la fille de son vieux Ruys, de celui qu’il avait tant aimé, soigné jusqu’à la dernière minute.

Cette fois cependant la question que venait de lui adresser Félicia à propos de son fils lui parut extrêmement désagréable ; et c’est le sourcil froncé, avec une expression réelle de mauvaise humeur, qu’il répondit :