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VI
félicia ruys

« Et votre fils, Jenkins, qu’est-ce que vous en faites ?… Pourquoi ne le voit-on plus chez vous ?… Il était gentil, ce garçon. »

Tout en disant cela de ce ton de brusquerie dédaigneuse qu’elle avait presque toujours lorsqu’elle parlait à l’Irlandais, Félicia travaillait au buste du Nabab qu’elle venait de commencer, posait son modèle, quittait et reprenait l’ébauchoir, essuyait lestement ses doigts à la petite éponge, tandis que la lumière et la tranquillité d’un bel après-midi de dimanche tombaient sur la rotonde vitrée de l’atelier. Félicia « recevait » tous les dimanches, si c’est recevoir que laisser sa porte ouverte, les gens entrer, sortir, s’asseoir un moment, sans bouger pour eux de son travail ni même interrompre la discussion commencée pour faire accueil aux arrivants. C’étaient des artistes, têtes fines, barbes rutilantes, avec çà et là une toison blanche de vieux romantiques amis du père Ruys, puis des amateurs, des hommes du monde, banquiers, agents de change et quelques jeunes gandins venus plutôt pour la belle fille que pour sa sculpture, pour avoir le droit