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du feu, voilà ce qu’on entend avec de temps à autre une exclamation de M. Joyeuse, un peu en dehors de son petit cercle, perdu dans l’ombre où il abrite son front anxieux et toutes les démences de son imagination. Maintenant, il se figure que, dans la détresse où il se trouve acculé, dans cette nécessité absolue de tout avouer à ses enfants, ce soir, au plus tard demain, il lui arrive un secours inespéré. Hemerlingue, pris de remords, lui envoie comme à tous ceux qui ont travaillé au Tunisien sa gratification de décembre. C’est un grand laquais qui l’apporte : « De la part de M. le baron. » L’Imaginaire dit cela tout haut. Les jolis visages se tournent vers lui ; on rit, on s’agite, et le malheureux se réveille en sursaut…

Oh ! comme il s’en veut à présent de sa lenteur à tout avouer, de cette sécurité menteuse maintenue autour de lui, et qu’il va falloir détruire tout à coup. Aussi quel besoin avait-il de critiquer cet emprunt de Tunis ! Il se reproche même à cette heure de n’avoir pas accepté une place à la Caisse territoriale. Est-ce qu’il avait le droit de refuser ?… Ah ! le triste chef de famille, sans force pour garder ou défendre le bonheur des siens… Et, devant le joli groupe encerclé par abat-jour et dont l’aspect reposant forme un si grand contraste avec ses agitations intérieures, il est pris d’un remords si violent pour son âme faible, que son secret lui vient aux lèvres, va lui échapper dans un débordement de sanglots, quand un coup de sonnette — pas chimérique, celui-là — les fait tous tressaillir et l’arrête au moment de parler.

Qui donc pouvait venir à cette heure ? Ils vivaient à l’écart depuis la mort de la mère, ne fréquentaient presque personne. André Maranne, quand il descendait