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Ne rien faire, quel bon moyen de s’allonger la vie !

À certains jours, cependant, quand M. Joyeuse était trop las ou le ciel trop féroce, il attendait au bout de la rue que ces demoiselles eussent refermé leur croisée et revenant à la maison le long des murailles, montait l’escalier bien vite, passait devant sa porte en retenant son souffle, et se réfugiait chez le photographe André Maranne qui, au courant de son infortune, lui faisait cet accueil apitoyé que les pauvres diables ont entre eux. Les clients sont rares si près des banlieues. Il restait de longues heures dans l’atelier à causer tout bas, à lire à côté de son ami, à écouter la pluie sur les vitres ou le vent qui soufflait comme en pleine mer, heurtant les vieilles portes et les châssis, en bas, dans le chantier de démolitions. Au-dessous il entendait des bruits connus et pleins de charme, des chansons envolées du contentement d’une tâche, des rires assemblés, la leçon de piano que donnait Bonne-Maman, le tic-tac du métronome tout un remue-ménage délicieux qui lui chatouillait le cœur. Il vivait avec ses chéries, qui certes ne croyaient pas l’avoir si près d’elles.

Une fois, pendant une absence de Maranne, M. Joyeuse, gardant fidèlement l’atelier et son appareil neuf, entendit frapper deux petits coups au plafond du quatrième, deux coups séparés, très distincts, puis un roulement discret comme un trot de souris. L’intimité du photographe avec ses voisins autorisait bien ces communications de prisonniers ; mais qu’est-ce que cela signifiait ? Comment répondre à ce qui semblait un appel ? À tout hasard, il répéta les deux coups, le tambourinement léger, et la conversation en resta là. Au retour d’André Maranne, il eut l’explication du fait. C’était bien simple : quelquefois, au courant de la journée, ces demoiselles,