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Je me demande si, parmi mes sosies en douleur du passé, Jean-Jacques ne devrait pas prendre place, si sa maladie de vessie n’était pas, comme il arrive souvent, prodrome et annexe de la maladie de la moelle.

Morphine.

Anesthésique que rien ne remplace.

Colère imbécile qu’il suscite.

Mais est-ce que l’opium n’était pas là auparavant ? Benjamin Constant, Mme de Staël en abusaient. Je vois dans la correspondance d’Henri Heine qu’il en prenait tous les jours à forte dose. Curieuse à suivre dans ses trois volumes de lettres, toutes d’affaires, la maladie du poète commençant par des névralgies dans la tête, « tout jeune », puis, huit ans de lit et de tortures.

Si j’écrivais un éloge de la morphine, je parlerais de la petite maison de la rue *** .

Hélas ! fini maintenant. Parti, mon vieux compagnon, celui qui me faisait mes piqûres.

Sensation profonde quand j’ai vu sa montre qu’on m’apportait près de mon lit, sa seringue Pravaz, sa pierre à aiguiser, ses aiguilles qui, tout à coup, m’ont semblé s’animer, grouiller, sangsues venimeuses, dards vivants — de crotales et d’aspics — corbeille de figues de Cléopâtre.

Elle serait belle à écrire, cette vie enclose, sans trop vives douleurs, presque toujours au lit depuis des années. Livres, revues, journaux, un peu de peinture. Et la montre dans son boîtier régularisant cette existence immobile