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Le 27 janvier, – ils avaient décidé de partir à cette date, – la neige tomba abondamment. À la fin du jour elle couvrait le sol à une hauteur de cinquante centimètres. Ce contre-temps ne les découragea pas et ils se préparèrent fiévreusement au départ. Justement, le marquis de Rivière devait dîner chez le commandant. Il leur promit de lui verser assez de vin pour le rendre incapable de se mettre à leur poursuite si leur fuite était découverte le même soir. En guise d’adieux, il leur envoya une poularde de Bresse, des truffes et quelques bouteilles de vin. À cinq heures, ils commencèrent le dernier repas qu’ils devaient faire dans la prison et à sept heures, armés de compas et de couteaux, n’emportant avec eux que la petite chienne et deux doubles louis qu’ils devaient à la générosité de M. de Rivière, ils descendirent à l’aide de leur corde passée en double autour de la barre de fer, jusque sur une pointe de rocher, à quelques mètres au-dessous de la casemate. Une fois là, ils tirèrent la corde à eux et la fixèrent à un petit sapin qui se trouva tout à propos sous leur main.

Girod passa le premier. À vingt mètres plus bas, il se trouva sur une pointe encore plus escarpée que l’autre sous laquelle s’ouvrait un abîme dont, malgré la neige, il ne voyait pas le fond. Épouvanté, il remonta auprès de ses camarades afin de les avertir qu’il était impossible de descendre par cet endroit. Parcourant l’étroit plateau, ils cherchèrent un arbuste pour y attacher leur corde. Mais, en fait d’arbuste, il n’y avait que le petit sapin auquel elle était déjà fixée. Alors les quatre fugitifs se crurent perdus.

– Perdu pour perdu, je ne resterai pas ici, s’écria Moulin. J’aime mieux me briser sur ces rochers que de m’exposer à geler cette nuit ou à être repris demain matin.