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Parmi eux, le marquis de Rivière, brillant gentilhomme de trente-deux ans, était à la fois le plus important et le plus compromis. Ancien sous-lieutenant aux gardes françaises, il avait émigré avec le comte d’Artois, pris part à la conspiration de Georges et figuré parmi les complices de ce dernier, contre lesquels fut prononcée la peine de mort. Sauvé de l’échafaud par les démarches que sa famille fit auprès de Joséphine, mais condamné à une détention perpétuelle, il avait été envoyé au fort de Joux sur sa demande, après avoir pris l’engagement de ne pas chercher à s’enfuir. Ses parents s’étaient portés garants de sa promesse.

Il était tenu au secret, défense faite à ses gardiens de le laisser communiquer avec qui que ce fût. En revanche, on tolérait qu’il reçût du dehors des provisions de bouche. À tout instant, lui arrivaient des envois de vins fins, de volailles, de fruits. Il en avait toujours en abondance dans sa casemate. Le commandant du fort, un nommé Lefèvre, jadis exécuteur des hautes œuvres du citoyen Carrier à Nantes, aimait la bonne chère et professait la plus respectueuse considération pour un prisonnier toujours si bien approvisionné. Aussi l’invitait-il à dîner chez lui, en famille, à la condition qu’il apporterait son plat et son vin. D’autres fois, il venait lui-même passer quelques instants dans la casemate, histoire de vider une bouteille de vieux Bordeaux.

Cette casemate, où le marquis de Rivière vivait seul, était séparée par un mur épais de celles où se trouvaient Moulin, Frotté, Allier d’Hauteroche et Girod. L’épaisseur de ce mur n’empêcha pas ceux-ci de se mettre en communication avec leur voisin, dont ils connaissaient le nom et l’histoire. Des trous pratiqués dans la cheminée et qu’ils bouchaient avec du mastic après les avoir utilisés, leur permirent de converser librement. Par cette