Page:Daudet - La Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire, 1895.djvu/79

Cette page n’a pas encore été corrigée

là, ils étaient résolus, en entrant au fort de Joux, à tenter de s’en évader. Cette forteresse, où ils occupaient deux casemates contiguës est plantée à la cime d’un roc haut de plusieurs centaines de mètres et de tous côtés taillé à pic. Cinq enceintes superposées, séparées les unes des autres par des fossés profonds et armées de canons, en défendent l’accès. Les murs des casemates ont plus d’un mètre d’épaisseur. Les fenêtres sont étroites, garnies au dedans et au dehors d’une double rangée de barreaux de fer et s’ouvrant sur le vide. À cette époque, on trouvait au long de chaque enceinte plusieurs corps de garde à la porte desquels veillaient des sentinelles. Descendre de ces hauteurs, franchir ces murailles, briser ces barreaux semblait, au premier abord, impossible. Mais rien ne l’est à qui veut être libre et les difficultés qui se dressaient devant Suzannet et d’Andigné ne les découragèrent pas.

Avant tout, il fallait se procurer un plan du fort ou en dresser un. Ce travail préparatoire les occupa durant huit mois. Ils consacraient leurs promenades quotidiennes à tout observer autour d’eux. Ces promenades avaient lieu sur une terrasse d’où ils dominaient les cinq enceintes et les rochers qui leur servent d’assises. À travers ces rochers broussailleux, aux pentes vertigineuses, ils cherchaient du regard à se frayer un passage. Rentrés dans leurs casemates et entre les interminables parties de trictrac qui occupaient leurs loisirs, ils fixaient sur le papier, en dessins sommaires, le résultat de leurs observations. Ils dressèrent ainsi peu à peu le plan qui leur était nécessaire pour surmonter les difficultés de leur entreprise.

Ces difficultés étaient de plusieurs sortes. Il fallait d’abord scier la double rangée de barreaux qui défendait la fenêtre par laquelle ils voulaient s’enfuir et pen-