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doute à cet égard. Elle porte la date du 11 messidor (30 juillet), et est ainsi conçue : « Je puis vous prévenir avec certitude, Monsieur, que votre ancien confrère Georges court des dangers, et quoique vous ne soyez plus à présent du même avis, je ne crois pouvoir mieux m’adresser qu’à vous pour l’en garantir. S’il attend, en effet, des ordres expédiés contre lui, rien ne pourra le garantir du sort le plus funeste. On ne retirera point les ordres donnés, mais j’ai cru découvrir qu’on serait bien aise de les voir éludés par son départ. Vous devez me connaître assez pour être persuadé que je ne vous conseille point une démarche hasardée. Elle doit être secrète ; mais elle aura l’approbation des amis de l’humanité, qui, quelle que soit leur opinion, préfèrent les partis les plus doux, quand ils conduisent au même but. »

Si précis et si sages que fussent ces avis, ils ne pouvaient rien sur une âme aussi fortement trempée que celle de Georges. Peut-être aussi n’était-il déjà plus libre d’abandonner la partie. Il est douteux que ses compagnons le lui eussent permis. L’un d’eux, de Sol de Grisolles, qui l’avait suivi à Paris, lui disait au lendemain de l’entrevue des Tuileries :

– Si je savais que vous fussiez disposé à vous rallier à Bonaparte, et si vous osiez vous présenter dans le Morbihan revêtu de l’uniforme de ses généraux, vous seriez fusillé.

En dépit des périls et des avertissements, Georges persévérait donc dans ses projets. Il menait la vie la plus misérable, errant de gîte en gîte, ne couchant jamais deux nuits de suite dans le même, campant ici ou là, dans les bois, dans les îlots du Morbihan, dans les granges, au hasard de ses pérégrinations, et déconcertant par la rapidité de ses courses les mesures ordonnées pour s’emparer de lui.