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eut l’étrenne ! Voici dans quelles circonstances dignes de passer à la postérité :

Mon premier livre venait d’éclore, virginal et frais dans sa couverture rose. Quelques journaux avaient parlé de mes rimes. L’Officiel lui-même avait imprimé mon nom. J’étais poète, non plus en chambre, mais édité, lancé, s’étalant aux vitres. Je m’étonnais que la foule ne se retournât pas lorsque mes dix-huit ans vaguaient par les rues. Je sentais positivement sur mon front la pression douce d’une couronne en papier faite d’articles découpés.

On me proposa, un jour, de me faire inviter aux soirées d’Augustine. — Qui, On ? — On, parbleu ! Vous le voyez d’ici : l’éternel quidam qui ressemble à tout le monde, l’homme aimable, providentiel, qui, sans rien être par lui-même, sans être bien connu nulle part, va partout, vous conduit partout, ami d’un jour, ami d’une heure, dont personne ne sait le nom, un type essentiellement parisien.

Si j’acceptai, vous pouvez le croire ! Être invité chez Augustine, Augustine, l’illustre comédienne, Augustine le rire aux dents blanches de Molière, avec quelque chose du sourire plus modernement poétique de Musset ; car, — si elle jouait les soubrettes au Théâtre-Français, Musset avait écrit sa comédie de Louison chez elle ; — Augustine Brohan enfin, dont Paris célébrait l’esprit,