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père qu’il entendait ne plus aller à l’école et qu’il voulait se faire paresseux.

— Paresseux, toi ?… fit le père, un brave tourneur de tuyaux de pipe, diligent comme une abeille et assis devant son tour dès que le coq chantait… Toi, paresseux ?… En voilà une invention ?

— Oui, mon père, je veux me faire paresseux… comme Sidi-Lakdar…

— Point du tout, mon garçon. Tu seras tourneur comme ton père, ou greffier au tribunal du Cadi comme ton oncle Ali ; mais jamais je ne ferai de toi un paresseux… Allons, vite, à l’école ; ou je te casse sur les côtes ce beau morceau de merisier tout neuf… Arri, bourriquot !

En face du merisier, l’enfant n’insista pas et feignit d’être convaincu ; mais, au lieu d’aller à l’école, il entra dans un bazar maure, se blottit à la devanture d’un marchand, entre deux piles de tapis de Smyrne, et resta là tout le jour, étendu sur le dos, regardant les lanternes mauresques, les bourses de drap bleu, les corsages à plastrons d’or qui luisaient au soleil, et respirant l’odeur pénétrante des flacons d’essence de rose et des bons burnous de laine chaude. Ce fut ainsi désormais qu’il passa tout le temps de l’école…

Au bout de quelques jours, le père eut vent de la chose : mais il eut beau crier, tempêter, blasphémer le