Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On s’est quitté en prenant rendez-vous pour jeudi prochain, non pas chez eux à Neuilly, mais à l’atelier du quai d’Orsay où ils passent la journée tous ensemble. Cet atelier, paraît-il, est la chose la plus extraordinaire du monde : un coin de l’ancienne Cour des Comptes où le sculpteur a obtenu de travailler dans la verdure sauvage et les pierres croulantes. En m’en allant, je me retournais pour les voir marcher le long du quai, le père, la mère, les petits, tous serrés dans cette lumière paisible du couchant qui les dorait comme un tableau de Sainte-Famille. Ébauché quelques vers là-dessus, le soir, à l’hôtel ; mais les voisins me gênent, je n’ose pas donner de la voix. Il me faut mon grand cabinet de Jallanges, mes trois croisées sur le fleuve et les pentes de vignes.

Et enfin nous voilà à mercredi, le grand jour, les grandes nouvelles, que je veux te donner par le détail. J’attendais, je te l’avoue, ma visite aux Astier avec un battement de cœur qui s’accentuait, aujourd’hui, en montant ce vieil escalier majestueux et humide de la rue de Beaune. Qu’allait-on me dire de mon livre ? Mon maître Astier aurait-il eu seulement le temps de l’ouvrir ? C’était si grave, le jugement de cet excellent homme qui a gardé pour moi son prestige de professeur en chaire, et devant qui je me sentirai toujours éco-