Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, je sais ton beau mépris… Alors, pourquoi te donner tant de mal ?

— Pour moi, pour ma joie personnelle, le besoin de créer, de m’exprimer. »

Évidemment, celui-là, dans l’île déserte, eût continué son labeur. C’est le véritable artiste, inquiet, curieux d’une forme nouvelle, et, dans ses intervalles de travail, cherchant avec d’autres matières, d’autres éléments, à contenter son goût d’inédit. Il a fait de la poterie, des émaux, ces belles mosaïques de la salle des gardes que l’on admire à Mousseaux. Puis, la chose achevée, la difficulté vaincue, il passe à une autre ; son rêve, en ce moment, c’est d’essayer de la peinture, et, sitôt son paladin terminé, une grande figure de bronze pour le tombeau de Rosen, il compte, comme il dit, « se mettre à l’huile ! » Et sa femme approuve toujours, chevauche avec lui toutes ses chimères ; la vraie femme d’artiste, silencieuse, admirante, écartant du grand enfant ce qui blesserait son rêve, heurterait son pied dans sa marche d’astrologue. Une femme, ma chère Germaine, à faire désirer le mariage. Oui, j’en connaîtrais une pareille, je l’amènerais à Clos-Jallanges et je suis sûr que tu l’aimerais ; mais ne t’effraie pas, les Mme Védrine sont rares, et nous continuerons à vivre tous deux, comme maintenant, jusqu’à la fin.