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l’ironie qui la déconcerte et qu’elle sent l’antagoniste des enthousiasmes, des rêveries de l’amour.

Ce matin de printemps, le jeune Astier arrivait avec plus d’assurance encore que d’habitude. C’était la première fois qu’il déjeunait à l’hôtel de Rosen, sous prétexte d’une visite à faire ensemble au Père-Lachaise pour voir les travaux sur place. On avait choisi le mercredi, jour de Mme Astier, par une complicité muette afin de ne pas l’emmener en tiers ; aussi, malgré sa réserve, le prudent jeune homme, en franchissant le perron, jeta négligemment sur la vaste cour, les communs somptueux, un regard circulaire, enveloppant comme une prise de possession. Il se refroidit en traversant l’antichambre, où suisse et valets de pied en grandissime deuil mat somnolaient sur les banquettes et semblaient en veillée funèbre autour du chapeau du mort, un superbe chapeau gris annonçant la belle saison et l’entêtement de la princesse à la perpétuité du souvenir. Paul s’en trouva vexé comme de la rencontre d’un rival : il ne se rendait pas compte de la difficulté pour Colette captive d’elle-même, d’échapper à son immense deuil. Et, furieux, il se demandait : « Est-ce qu’elle va me faire déjeuner avec lui ?… »