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fleurs rares au Père-Lachaise, où Paul Astier surveillait l’érection du gigantesque mausolée en pierres commémoratives prises sur le lieu du désastre, selon le désir de la princesse.

Malheureusement, l’extraction, le transport de ces rochers dalmates, le granit dur à tailler, puis les mille projets, les changeants caprices de la veuve, qui ne trouvait rien d’assez grand, d’assez pompeux, à la taille de son héros mort, avaient causé tant de retards et d’entraves qu’en mai 1880, deux années pleines après la catastrophe et l’entreprise des travaux, le monument n’était pas encore fini. C’est beaucoup, deux ans, pour une douleur démonstrative, toujours au paroxisme, prête à se donner en une fois. Sans doute le deuil subsistait, toujours austère d’apparence, l’hôtel muet et fermé comme un caveau ; mais au lieu de la statue vivante, en prières et en larmes, au fond de la crypte, il y avait maintenant une jeune et jolie femme, dont les cheveux repoussaient serrés et fins avec des révoltes de vie, des frisons, des ondulements.

De cette blonde chevelure revenue, le noir du veuvage s’éclaircissait comme égayé, ne semblait plus qu’un caprice d’élégance ; et dans l’allure, la voix de la princesse, on sentait l’activité printanière, cet air soulagé, paisible, qu’on trouve chez les jeunes veuves à la seconde période de leur