Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crâne mythologique et, tout en roulant, il inspecte les cuirs neufs de l’attelage, s’informe du grainetier au jeune groom râblé, tassé auprès de lui, l’air blagueur et rageur d’un petit ratier d’écurie. Encore un, paraît-il, ce grainetier, qui renâcle sur la fourniture. « Ah ! » fait Paul distraitement, occupé déjà d’autre chose. Les confidences de sa mère lui trottent dans l’esprit… Cinquante-trois ans, la belle Antonia !… Ce dos, ces épaules, le plus parfait décolletage de la saison. Ce n’est pas Dieu croyable !… « Hep ! là… » Il se la rappelle à Mousseaux, l’été dernier, levée avant tout le monde, courant le parc avec ses chiens dans la rosée, cheveux au vent, la bouche fraîche… Ça n’avait pourtant pas l’air d’une femme fabriquée… même qu’un jour, en landau, il s’est fait remiser, oh ! mais remiser, sans un mot, rien que d’un coin d’œil, comme un domestique, pour avoir seulement frôlé une jambe d’Hébé, longue, fine, solide… Cinquante-trois ans, cette jambe-là, jamais de la vie !… « Hep ! hep ! gare donc ! Est-il traître, ce tournant du rond-point et de l’avenue d’Antin… » C’est égal ! un sale coup qu’on lui monte, à cette pauvre femme, de lui marier son prince. Car enfin, m’man a beau dire, le salon de la duchesse leur a rudement servi à tous… Est-ce que le père serait de l’Académie, sans elle ? lui-même, toutes ses commandes… Et l’héritage Loisillon, la perspec-