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regrets, toutes les déceptions de sa paternité : « Après moi, monsieur mon fils vendra, s’il lui convient, et puisqu’il ne veut qu’être riche, je vous garantis qu’il le sera.

— Oui, mais en attendant… »

Ce fut dit, cet « en attendant, » d’un petit ton flûté si monstrueusement naturel et tranquille, que Léonard, outré de jalousie contre ce fils qui lui tenait tout le coeur de sa femme, riposta dans un solennel coup de mâchoire :

« En attendant, madame, que les autres fassent comme moi… Je n’ai pas d’hôtel, moi, ni de chevaux, ni de charrette anglaise. Le tramway me suffit pour mes courses et, comme appartement, un troisième sur entresol où je suis la proie de Teyssèdre ; je travaille nuit et jour, j’entasse les volumes, deux, trois in-8o par an, je suis de deux commissions de l’Académie, je ne manque pas une séance, je figure à tous les enterrements, et même, l’été, je n’accepte aucune invitation de campagne pour ne pas perdre un seul jeton. Je souhaite à monsieur mon fils, quand il aura soixante-cinq ans, de montrer le même courage ! »

C’était la première fois depuis longtemps qu’il parlait de Paul, et avec cette âpreté. La mère en restait saisie, et dans le regard en dessous, presque cruel, qu’elle jetait à son mari, perçait comme un respect qui n’y était pas tout à l’heure.