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« Des paperasses, ah ! oui-da ! »

Mme Astier l’écoutait stupéfaite. Elle savait bien que depuis deux ou trois ans il s’était mis à collectionner des vieux papiers, il lui parlait quelquefois de ses trouvailles, qu’elle écoutait de cette oreille distraite et vague d’une femme qui entend la même voix d’homme depuis trente ans ; mais jamais elle n’aurait pu supposer… Vingt mille francs pour trois pièces !… et comment n’acceptait-il pas ?

Le bonhomme éclata comme un coup de mine :

« Vendre mes Charles-Quint !… Jamais !… Je vous verrais tous manquer de pain, aller aux portes, je n’y toucherais pas, entendez-vous ! » Il frappait sur la table, très pâle, la bouche en avant, maniaque et féroce ; un Astier-Réhu extraordinaire que sa femme ne connaissait pas. Les êtres ont ainsi dans le rayonnement subit d’une passion des aspects ignorés de leurs plus intimes. Presque aussitôt, redevenu très calme, l’académicien s’expliqua, un peu honteux ; ces documents lui étaient indispensables pour la confection de ses livres, maintenant surtout qu’il n’avait plus les archives des Affaires étrangères. Vendre ces matériaux, ce serait renoncer à écrire ! Aussi songeait-il plutôt à les accroître. Et finissant sur une note ambre et tendre où l’on sentait tous les