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« Le jour de Teyssèdre, sans doute… » pensa Mme Astier, et elle s’assit dans le frou de sa robe de réception, un peu surprise de ne pas recevoir le compliment dont il ne manquait jamais d’accueillir, le mercredi, sa toilette pourtant bien minable. Comptant que cette mauvaise disposition se dissiperait aux premières bouchées, elle attendit pour commencer l’attaque. Mais le maître, qui dévorait quand même, montrait une humeur croissante : le vin sentait le bouchon… les boulettes de bœuf bouilli étaient brûlées.

« Tout ça parce que votre M. Fage vous a fait poser ce matin, » cria de la cuisine à côté Corentine furieuse, dont la face luisante et couturée apparut au guichet percé dans la muraille par où l’on passait les plats du temps de la table d’hôte. Quand elle l’eut refermé violemment, Léonard Astier murmura : « Cette fille est d’une impudence !… » au fond, très gêné que ce nom de Fage eut été prononcé devant sa femme. Et bien sûr qu’en tout autre moment Mme Astier n’aurait pas manqué de dire : « Ah ! Ah !… encore ce Fage… encore votre relieur… » et qu’une scène de ménage eût suivi, sur laquelle Corentine comptait bien en jetant sa phrase perfide. Mais aujourd’hui il s’agissait de ne pas irriter le maître, de l’amener, au contraire, par d’habiles préparations à ce qu’on voulait de lui ; en l’entretenant, par exemple,