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« Mais arrivez donc, mon Dieu ! » dit Mme Astier, coiffée pour sortir ; puis à demi sérieuse, sur un ton de présentation : « Cher ami… monsieur le comte Paul Astier.

— Maître… » fit Paul s’inclinant.

Astier-Réhu les regardait tous deux, fronçant ses gros sourcils : « le comte Paul Astier ?… »

Le garçon, toujours joli sous le hâle de ses six mois de plein vent, raconta qu’il venait de s’offrir un titre de comte romain, moins pour lui que pour honorer celle qui allait prendre son nom.

« Tu te maries ? » demanda le père de plus en plus méfiant. « … Et avec ?

— La duchesse Padovani.

— Tu es fou ! « … Mais elle a vingt-cinq ans de plus que toi, la duchesse … et puis… et puis… » Il hésitait, cherchait une formule respectueuse, et enfin, brutalement : « On n’épouse pas une femme qui, au vu et au su de tous, vient d’appartenir pendant des années à un autre homme !

— Ce qui ne nous a jamais gênés, du reste, pour dîner régulièrement chez elle et lui avoir une foule d’obligations… » siffla Mme Astier, sa petite tête dressée pour l’attaque. Sans lui répondre ni même la regarder, comme ne la jugeant pas compétente en ces choses de l’honneur, le bonhomme joignit son fils, et d’un accent convaincu, les larges méplats de ses joues remués par l’émo-