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la fleuriste de la rue du Cirque pour se faire coudre un œillet à la boutonnière ; et la réaction jusqu’à l’Arc-de-l’Étoile, Stenne et le phaéton suivant au ras du trottoir. Ensuite un tour aux acacias, où Paul montrait un teint clair, une peau de femme à « lever » toutes les femmes et qu’il devait à ses habitudes d’hygiène chic. Cette séance chez Keyser lui épargnait en outre la lecture des journaux, par les potins de cabine à cabine, ou sur les divans de la salle d’armes, en veste de tir, en peignoir de flanelle, même à la porte du docteur, quand on attendait son tour de douche. Des cercles, des salons, de la Chambre, de la Bourse ou du Palais, les nouvelles de la journée s’annonçaient là librement, à voix haute, dans le froissement des épées et des cannes, les appels au garçon, les grandes claques en battoir des mains sur la chair nue, le cliquetis des fauteuils à roulettes pour rhumatisants, les lourds plongeons qui s’ébrouaient dans la piscine aux voûtes sonores, et, dominant tous les bruits d’eau brisée, jaillie, la voix du bon docteur Keyser debout sur sa tribune et ce mot revenant toujours comme un refrain : « Tournez-vous. »

Ce jour-là, Paul Astier se « tournait » avec délices sous la pluie bienfaisante, y laissait la migraine et la poussière de sa corvée, et les funèbres ronrons des regrets académiques en style