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sa barbe en pointe blonde, aussi peu démonstratifs l’un que l’autre.

« Est-ce que M. Paul déjeune ? » demanda Corentine, une forte paysanne à teint huileux, couturé de petite vérole, assise sur le tapis comme une pastoure au pré, en train de raccommoder le bas de la jupe de sa maîtresse, une loque noire ; le ton, l’attitude, trahissaient la grande familiarité dans la maison de la bonne à tout faire mal rétribuée.

Non, Paul ne déjeunait pas. On l’attendait. Il avait son boghey en bas ; venu seulement pour dire un mot à sa mère.

« Ta nouvelle charrette anglaise ?… Voyons ! »

Mme Astier s’approcha de la fenêtre ouverte, écarta un peu les persiennes toutes rayées d’une belle lumière de mai, juste assez pour voir le fringant petit attelage étincelant de cuir neuf et de sapin verni, et le domestique en livrée fraîche, debout à la tête du cheval qu’il maintenait.

« Oh ! madame, que c’est beau !… murmura Corentine qui regardait aussi ; comme M. Paul doit être mignon, là-dedans ! »

La mère rayonnait. Mais des fenêtres s’ouvraient en face, du monde s’arrêtait devant l’équipage qui