Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tinence de son compromettant compagnon. Il s’esquivait, se mêlait au cortége et pénétrait dans l’église entre deux files de soldats le fusil renversé. Au fond, la mort de Loisillon lui causait une joie vive ; il ne l’avait jamais vu ni connu, ne pouvait l’aimer à travers son œuvre, cette œuvre n’existant pas, et la seule reconnaissance qu’il lui garderait, c’était justement cette mort, ce fauteuil vacant à point pour sa candidature. Malgré tout, l’appareil funèbre dont les vieux parisiens se blasent par l’habitude, cette haie de soldats, le sac au dos, les fusils tombant sur les dalles d’un seul coup de crosse au commandement d’un sacré petit officier, très jeune, pas commode, la jugulaire au menton, dont cet enterrement devait être la première affaire, surtout la musique noire, les tambours voilés le saisirent d’un grand respect ému ; et, comme toujours quand un sentiment vif le poignait, des rimes se présentèrent. Même cela commençait très bien, une large et belle image sur l’espèce de trouble, d’angoisse nerveuse, d’éclipse intellectuelle que fait dans l’atmosphère d’un pays la disparition d’un de ses grands hommes. Mais il s’interrompit pour offrir une place à Danjou qui, venu très en retard, s’avançait au milieu de chuchotements, de regards féminins, promenant sa tête orgueilleuse et dure avec ce geste habituel qu’il a de passer la main à plat