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deux rapports édités par l’Imprimerie Nationale du temps où Loisillon était surintendant des Beaux-Arts. L’homme : un type d’avoué retors, plat, piteux, le dos courtisan, un geste perpétuel de s’excuser, de demander grâce, grâce pour ses croix, pour ses palmes, son rang dans cette Académie où sa rouerie d’homme d’affaires servait d’agent de fusion entre tant d’éléments divers à aucun desquels on n’aurait pu l’assimiler, grâce pour cette extraordinaire fortune, grâce pour cet avancement à la nullité, à la bassesse frétillante. On se rappelait son mot à un dîner de corps où il s’activait autour de la table, une serviette au bras, tout glorieux : « Quel bon domestique j’aurais fait ! » Juste épitaphe pour sa tombe.

Et tandis qu’on philosophait sur le rien de cette existence, il triomphait, ce rien, jusque dans la mort. Les équipages se succédaient devant l’église, les longues lévites brunes, bleues de la valetaille couraient, s’envolaient, se courbaient, balayaient le parvis au fracas luxueux des portières et des marchepieds ; les groupes de journalistes s’écartaient respectueusement devant la duchesse Padovani, à la haute et fière démarche. Mme Ancelin fleurie dans ses crêpes de deuil, Mme Eviza, dont les yeux longs flambaient sous le voile, à faire retourner un agent des mœurs, toute la congrégation des dames de l’Académie,