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compatriote, le romancier Desminières, l’ancien organisateur des charades de Compiègne, s’est emporté vivement. « Balzac ! mais l’avez-vous connu ? Savez-vous, monsieur, de qui vous parlez ?… le désordre, la bohème !… un homme, monsieur, qui n’a jamais eu vingt francs dans sa poche… Je tiens ce détail de son ami Frédéric Lemaître… Jamais vingt francs… et vous auriez voulu que l’Académie… » Alors le vieux Jean Réhu, la main en cornet sur l’oreille, a compris qu’on parlait de jetons et nous a conté ce joli trait de son ami Suard venant à l’Académie le 21 janvier 93, le jour de la mort du roi, et profitant de l’absence de ses collègues pour rafler à lui tout seul les deux cent quarante francs de la séance.

Il narre bien, le vieux père « J’ai vu ça… » et sans sa surdité serait un brillant causeur. À quelques vers dits par moi en toast à son étonnante vieillesse, le bonhomme a répondu avec beaucoup de bienveillance en m’appelant son « cher collègue. » Mon maître Astier le reprend : « futur collègue. » Rires, bravos, et c’est ce titre de futur collègue qu’ils m’ont tous donné en me quittant, avec des poignées de mains vibrantes, significatives, des « à revoir… à bientôt… » qui faisaient allusion à ma prochaine visite. Un béjaune, ces visites académiques ; mais puisque tous y passent. Astier-Réhu me racontait en sortant du dîner Voi-