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La voix d’un grand valet de pied, vêtu de noir, découpant sa silhouette sur la rue éclaboussée de pluie, lui répondit de loin avec une respectueuse insolence que madame la princesse attendait Monsieur dans la voiture. Paul Astier eut le courage de crier en étranglant : « J’y vais. » Mais, quelle rage ! que d’ignobles injures bégayées contre ce mort, dont le souvenir l’avait sûrement retenue ! Presque aussitôt l’espoir d’une revanche, probablement très bouffonne et à courte date, remit ses traits en place pour rejoindre la princesse, aussi maître de lui que d’habitude, ne gardant de sa colère qu’un peu plus de pâleur aux joues.

Très chaud, le coupé, dont on avait dû relever les glaces à cause de l’ondée subite. D’énormes bouquets de violettes, des couronnes lourdes comme des tourtes chargeaient les coussins autour de Mme de Rosen, emplissaient ses genoux.

« Ces fleurs vous gênent peut-être… désirez-vous que j’ouvre ? » demanda-t-elle avec cette câlinerie gentiment hypocrite de la femme qui vient de vous jouer un mauvais tour mais voudrait qu’on reste amis quand même. Paul eut un geste évasif très digne. Qu’on ouvrit, qu’on fermât, cela lui était parfaitement égal. Toute dorée et rose sous ses longs voiles de veuve, repris les jours de cimetière, la princesse se sentait mal à l’aise, aurait préféré des reproches. Elle était si cruelle