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Roxelane, et, toute chaude encore du triomphe de sa sarabande, la petite vient la danser une seconde fois pour l’hôte impérial de la duchesse.

De surprise plus agréable, la parfaite amie n’aurait su vraiment en imaginer. Avoir là, devant soi, pour soi, presque dans la figure, ce joli tourbillon de tulle, ce souffle haletant, jeune et frais, entendre tous les nerfs tendus du petit être craquer, vibrer comme les écoutes d’une voile, quelles délices ! et monseigneur n’est pas seul à les savourer. Dès la première pirouette, les hommes se sont rapprochés, formant un cercle brutal et serré d’habits noirs en dehors duquel les rares femmes présentes en sont réduites à regarder de loin. Le grand-duc est confondu, bousculé dans cette presse, car à mesure que se précipite la sarabande, le cercle se rétrécit, jusqu’à gêner l’évolution de la danse ; et, penchés, soufflant très fort, académiciens et diplomates, la nuque avancée, leurs cordons, leurs grand-croix ballant comme des sonnailles, montrent des rictus de plaisir qui ouvrent jusqu’au fond des lèvres humides, des bouches démeublées, laissent entendre de petits rires semblables à des hennissements. Même le prince d’Athis humanise la courbe méprisante de son profil devant ce miracle de jeunesse et de grâce dansante qui, du bout de ses pointes, décroche tous ces masques mondains ; et le turc Mourad-Bey qui n’a pas dit