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filtre entre ses paupières à peine décloses un regard qui promet tout, quand monseigneur voudra, où et comme il voudra, pourvu que monseigneur vienne chez elle, qu’on le voie à son prochain lundi. Ah ! le décor a beau changer, la pièce sera toujours la même : vanité, bassesse, aptitude aux courbettes, courtisanesque besoin de s’avilir, de s’aplatir ! Il peut nous en venir, des visites impériales : nous avons à l’ancien garde-meuble tout ce qu’il faut pour les recevoir.

« Général !

— Votre Altesse ?

— Je n’arriverai jamais pour la ballet…

— Mais, pourquoi restons-nous là, monseigneur ?

— Je ne sais quoi… une surprise… on attend que le nonce soit parti… »

Ils murmurent ces quelques mots du bout des lèvres, sans se regarder, sans qu’un muscle anime leurs faces officielles, l’aide de camp assis près de son maître dont il imite le nasillement, le geste rare et la posture immobile au bord du divan, le bras arrondi sur la hanche, raide comme à la parade ou sur le devant de la loge impériale au théâtre Michel. Debout, devant eux, le vieux Réhu ne veut pas s’asseoir, ni cesser de parler, de remuer ses poudreux souvenirs de centenaire. Il a tant connu de gens, s’est habillé de tant de modes