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rendre plus éclatant le triomphe de son adversaire, jette ses bras comme des armes brisées, disant d’un air convaincu : « Ah ! Monseigneur, vous m’avez fait quinaud… » Le charme est rompu, la table sur ses pieds, on se lève dans un léger brouhaha d’admiration, des portes battent, la duchesse a pris le bras du grand-duc, Mourad-Bey celui de la baronne ; et tandis qu’avec un frôlement de jupes, de chaises reculées, l’assistance s’égrène à la file, passe dans les salons, Firmin, le maître d’hôtel, grave, le menton haut, suppute à part lui : « Ce dîner, partout ailleurs, m’aurait valu mille francs de gratte… mais avec elle, va-t’en voir !… pas même trois cents francs… » Puis, tout haut, comme un crachat sur la traîne de la fière duchesse : « Carne, va !… »

« Que Votre Altesse me permette… mon grand-père, M. Jean Réhu, doyen des cinq Académies. »

Le timbre suraigu de Mme Astier sonne dans les grands salons allumés, presque déserts, où sont arrivés déjà les intimes admis à la soirée ; elle crie très fort pour que bon-papa comprenne à qui il est présenté et réponde en conséquence. Il a fière mine, le vieux Réhu, dressant sa longue taille, portant droite encore sa petite tête créole devenue noire avec l’âge et toute gercée. Appuyé au bras de Paul Astier élégant et charmant, sa fille de l’autre côté, Astier-Réhu derrière eux, la