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ton reste, ma fille ; Samy sera marié dans un mois… »

Mme Astier ne s’est pas trompée. Le grand-duc, en arrivant, annonçait à sa parfaite amie la promesse de l’Élysée pour d’Athis, c’est l’affaire de quelques jours. La duchesse est folle d’une joie contenue qui l’illumine en dessous, la pare d’un éclat extraordinaire. Voilà ce qu’elle a fait de l’homme aimé, où elle l’a conduit !… Et déjà elle projette son installation personnelle à Pétersbourg, un hôtel sur la Perspective, pas trop loin de l’ambassade, pendant que le prince, blême, la joue fripée, le regard perdu — ce regard dont Bismarck n’a jamais supporté le scrutement — comprimant sur sa lèvre méprisante le double sourire, sibyllin et dogmatique, de la Carrière et de l’Académie, songe en lui-même : « Il faut maintenant que Colette se décide… elle viendrait là-bas, on se marierait sans bruit à la chapelle des pages… tout serait fini et irréparable quand la duchesse l’apprendrait. »

Et d’un convive à l’autre, mille pensées incongrues, bouffonnes, disparates, circulent ainsi sous la même enveloppe gommée. C’est la satisfaction béate de Léonard Astier qui a reçu le matin même l’ordre de Stanislas, deuxième classe, en retour de l’hommage fait à Son Altesse d’un exemplaire de son discours portant, épinglé en première page,