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puissante, où ruissellent, sous le pressoir de l’intelligence, les grappes des mots intenses et des termes exacts.

On m’a raconté que, quelques heures avant sa mort, Marcel Proust, qui ne cessait de s’étudier, avait demandé, à la personne qui le veillait, de lui remettre une feuille de manuscrit, où était peinte l’agonie d’un de ses personnages : « J’ai quelques retouches à y faire, maintenant que me voici presque au même point. » Car il était d’un scrupule extraordinaire en fait d’observation, et ce puissant imaginatif ne cessait de contrôler son imagination par le réel. On lui doit, entre autres, cette remarque, subtile et vraie, que de menues circonstances déterminent souvent des actions importantes, par leur maturation dans le voisinage de la volonté. Alors que des conjonctures graves, et même tragiques, peuvent nous laisser inertes et défibrés. Aucun philosophe, à ma connaissance, parmi les contemporains, n’a mieux décrit ces confins de la raison – ou de la déraison – et du vouloir, baptisés génériquement « images motrices ». En outre, Proust ne se contente pas de décrire. Il lui plait encore de juger, et sa position de