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sité du champ romanesque, offrant autant de perspectives au génie créateur que la voie lactée, par un beau soir. La série de Proust, comme celle de Balzac, est une vie à côté de la vie, une vie en plus de la vie, agencée autrement, aussi complexe, amère, ironique, soudaine et rusée que l’existence de chacun de nous. C’est pourquoi je considère le roman comme l’expression la plus complète de l’art, comme une transposition de l’homme tout entier, plus exactement comme la possibilité de cette transposition intégrale, divin compris.

Il a paru, depuis vingt ans, un grand nombre de traités de psychologie, reposant presque tous sur cette idée fausse et primaire que la psychologie est un chapitre de la clinique ou de la physiologie. C’est par là qu’on en est arrivé aux aberrations falotes de la psychologie dite « expérimentale », du calcul appliqué aux sensations, etc… Qui ne donnerait, s’il réfléchit un peu, tout ce fatras, pour les pages, étrangement lumineuses, où Proust descend dans la conscience de son prochain et en extrait des alliages inconnus, que chacun cependant reconnaît comme siens et intimes. « Plus profondément que n’est jamais descendu le plomb de la sonde », disait Quincey… Cela, chez Proust, sans aucune préciosité, ni affectation, comme par le seul effort d’une syntaxe