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raconter son malheur avec l’élève d’artillerie, Sylvanire finit par consentir : « Ça sera comme vous voudrez, mon pauvre Romain, mais vrai !… » et la mimique de ses fortes épaules semblait dire : « Drôle d’idée que vous avez là… »

La réponse de Romain fut un bredouillement passionné, mais inintelligible, au fond duquel se démêlaient des serments de tendresse éternelle et de furieux projets de vengeance contre le corps de l’artillerie, « cré cochon ! » C’était son mot : cré cochon ! Un tic dont rien n’avait pu le défaire, le cri du cœur résumant tous ces sentiments inexprimés. Le jour où l’amiral de Genouilly le sauvait miraculeusement du conseil de guerre, le jour où la maîtresse de Sylvanire décidait sa bonne au mariage, Romain avait remercié ainsi : « Cré cochon, mon amiral !… Cré cochon, madame Lorie !… » et cela sous-entendait les plus belles protestations reconnaissantes.

Mariés, leur vie resta la même, elle chez les maîtres, lui à sa porte et au jardin, jamais ensemble. La nuit Sylvanire gardait sa malade ; puis, madame partie, elle continua à coucher en haut à cause des enfants, tandis que son mari se