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Elles sont jolies, vos prisons du bon Dieu ! »

Henriette Briss ne s’emportait pas, mais défendait sa chère maison par toute sorte d’arguments et de textes. Elle avait passé là onze années délicieuses, à ne pas se sentir vivre, irresponsable, anéantie en Dieu, dans une inconscience dont le réveil lui semblait bien dur et fatigant. « Allez, madame Ebsen, en ce siècle de matière, il n’y a pas d’autre refuge pour les âmes distinguées. »

La bonne dame suffoquait :

« Si on peut !… Si on peut !… mais retournez-y donc à votre couvent… Un tas de paresseuses et de folles… »

À ce moment, un déluge de notes, d’arpèges, noyait, emportait la discussion. Les « verdures » s’animaient discrètement, en se rapprochant du piano ; et de sa voix limpide, un peu molle, Éline commençait une romance de Chopin. Puis c’était le tour de grand’mère, à qui l’on demandait quelque vieille chanson scandinave, que Lina traduisait à mesure pour Lorie. L’aïeule se redressait dans son fauteuil, chevrotait un air héroïque, la chanson du roi Christian « debout près du grand mât, tout enveloppé de fumée… »,