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et son vieux cerisier dont il cueillait avec tant de précautions les quelques fruits aigrelets, vraies cerises de Paris, trempées de poussière noire, qu’il fallait essuyer et laver avant de les mettre sur la table ! Et Mme Ebsen se figurait le vieux ménage s’en allant derrière ses meubles, eux aussi à bout de service et ne demandant que du repos ; elle le voyait, campant quelque part en province chez des enfants mariés, attendant de retrouver une cure modeste et toutes les privations des premières années. Tout cela pour elle, pour avoir osé, seul dans Paris, élever la voix contre la cruauté et l’injustice.

« Ah ! Linette, si tu l’avais entendu dans ce temple… Comme c’était beau, comme on le sentait bien avec Dieu… Tu serais revenue bien vite, méchante… » Et craignant de l’avoir fâchée, elle lui prenait la main qu’elle baisait gentiment par-dessus la table : « …Pour rire, tu sais bien… »

Éline sans répondre restait distraite, absorbée, un étirement de souffrance et de lassitude sur sa pâleur. La mère pensait : « C’est le voyage… » et malgré son mutisme, elle la questionnait, curieuse de savoir d’ou venait son enfant, mais n’en tirant que des mots vagues,