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boiseries à filets d’or. L’immatérialité de la femme qui vit là se devine à la netteté de cette tenture, de ces meubles laqués de la même couleur tourterelle, aussi frais que le soir du mariage, il y a onze ans… Pauvre Autheman, sans prénom, que personne, pas même sa mère, n’a jamais songé à appeler Louis, pauvre Autheman le riche, pauvre laid ! À corps perdu sur le grand lit de ses amours drapé en lit de mort, quels cris de colère et de passion il étouffe, mordant l’oreiller, griffant la courtine dure ! Et qui croirait à le voir pleurer tout haut comme un enfant, que c’est le même Autheman ganté, correct et froid que son domestique trouve un moment après dans l’antichambre, devant la cage de la perruche. Tous les ans, la cage et l’oiseau faisaient le voyage de Port-Sauveur, au grand scandale d’Anne de Beuil, furieuse d’entendre ce bec crochu de vieille hérétique appeler « Moïse… Moïse… » sous les ombrages évangéliques. Cette fois, volontairement ou non, la perruche a été oubliée ; et la voilà couchée au fond de sa cage, la tête abandonnée, les pattes convulsées et raidies, devant le petit miroir cassé qui reflète la baignoire